Interview de Pierre Hémon, président de l’AF3V, par le magazine allemand Stern

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Sophie POUILLY 21/11/2022 ACTU VÉLO

Nos voisins allemands s’intéressent au projet de la véloroute Via Pax

  • Monsieur Hémon, comment avez-vous eu l’idée pour la véloroute commémorative (c’est à dire tourisme mémoriel à vélo) ?

Je suis profondément européen. Une visite à l’Ossuaire de Douaumont il y a quelques années m’a bien sûr ému. Être sur le lieu où en 1984 Helmut Kohl et François Mitterrand se sont tenu par la main, scellant ainsi une réconciliation a provoqué chez moi des questions.

En effet, aucun autre geste fort n’a réellement eu lieu depuis ce moment. Au-delà d’une réconciliation c’est à une mémoire partagée qu’il faut travailler, à une transmission commune à nos enfants, aux générations futures européennes. J’ai pensé qu’il faudrait un projet qui soit un « intégrateur européen » pour notre jeunesse, afin qu’elle puisse s’emparer de cette mémoire. Ma passion pour le vélo, l’itinérance, le slow tourisme m’a permis de cheminer avec mes amis de l’AF3V (Association française pour le développement des véloroutes et des voies vertes) vers ce projet, qui valorise mémoire, protection du climat, amitié entre les peuples.

  • Qu’est-qui le caractère unique de ce projet – quelle différence entre la Via Pax et les véloroutes normales ?

La Via Pax « des Vosges à la mer du Nord » est certes un itinéraire touristique qui permet de découvrir des lieux, des paysages, des modes de vie, mais c’est aussi un itinéraire mémoriel, culturel, européen, doté d’une colonne vertébrale, la mémoire que nous voulons partagée, de cette terrible période. Cela pourrait être un lieu, un parcours de découverte, de mémoire, de réflexion, remarquable pour la jeunesse européenne (allemande, française, mais aussi belge, néerlandaise luxembourgeoise, britannique) et au-delà puisque cette guerre fut réellement mondiale. Un parcours de Paix, de construction de la paix, qui on le voit bien aujourd’hui est constamment menacée.

De même qu’il existe un itinéraire cyclable le long du « rideau de fer » qui a séparé l’Allemagne pendant près de trente années et a une fonction je pense de mémoire mais aussi réflexion, de réconciliation, de reconstruction d’un sentiment national, la Via Pax participerait de la construction d’un sentiment européen, qui demande de constants efforts.

  • La route longe des lieux de mémoire importantes comme Verdun, Compiègne ou la Marne. Aujourd’hui, on peut toujours y voir quelque chose de la 1ere guerre mondiale ?

Outre les cimetières et monuments commémoratifs, qui sont parfois très émouvants, oui les territoires traversés portent encore traces et stigmates de cette guerre. Des vestiges de casemates bien sûr, d’hôpitaux souterrains, d’abreuvoirs à chevaux, des « entonnoirs » formés par les explosions d’obus. Et beaucoup de lieux d’expositions, de musées locaux.

  • Comment ca pourrait fonctionner – faire du vélo et en parallèle se rappeler du passé douloureux ?

Faire du vélo est agréable, les régions traversées regorgent de ressources touristiques et gastronomiques. Donc on peut associer le plaisir du voyage à vélo à une thématique forte.

 Aujourd’hui les technologies existantes permettraient qu’en arrivant devant un site, on puisse via son smartphone découvrir des images, voire des films d’archives, des explications donnant sens à ce que l’on voit, expliquant ce qui existe à proximité.

  • Irgendwie erinnert Ihr Projekt an ein Überraschungsei – drei Dinge auf einmal: Gedenken, Klimaschutz und Völkerverständigung. Ist das nicht ein bisschen zu ehrgeizig?

Votre projet contient trois choses en un seul temps: mémoire, protection du climat, amitié enter peuples… N’est-ce pas assez ambitieux?

A quoi cela servirait-il de travailler sur la mémoire, sans travailler sur l’avenir ? L’amitié entre les peuples ne prend sens, ne se construit que sur un projet partagé qui soit fédérateur. Quel projet mieux que la protection du climat pourrait fédérer ? En effet la défense de la planète ne peut se combiner avec des égoïsmes nationaux. Sans mémoire, sans connaissance de leur histoire commune, y compris conflictuelle bien sûr, qui pourrait construire un projet. La mémoire partagée et commune est le socle d’un possible avenir commun apaisé.

  • Pour votre projet les alliées d’autrefois se sont mis ensemble de nouveau: Britanniques, Belges et Français. Mais pas les Allemands. Pourquoi les Allemands ne s’intéressent pas pour la véloroute de Mémoire?

Je ne suis pas certain que les Allemands ne s’intéressent pas à la Via Pax. Peut-être ne sont-ils pas assez au courant de ce projet qui de fait se déroule essentiellement sur le territoire français. Il nous faut développer la communication dans leur direction. Leur participation est essentielle. Ce projet n’aurait pas de sens sans eux, c’est pour nous une évidence.

  • Quel importance, que les Allemands participant au projet ?

Acteurs essentiels de cette 1ère guerre mondiale, acteurs essentiels de la construction européenne, leur participation est bien évidemment indispensable !

  • Qu’est-ce qu’il faut pour que le projet puisse prendre encore plus de souffle ?

Le faire connaître plus largement (et l’intérêt que vous y portez en nous interviewant y participe, merci). Développer les liens avec les associations et institutions allemandes et européennes.

Et bien sûr, il faut des moyens financiers et humains. Nous en manquons cruellement. Nous espérons que des fondations, que des groupes privés trouveront intérêt à soutenir cette initiative. Et surtout nous pensons que ce projet d’intégration européenne, devrait trouver soutien fort auprès de l’Union Européenne dont nous espérons qu’elle participera au financement. Mais il est plus facile de se promener à vélo sur des itinéraires complexes que de s’y retrouver dans les méandres de l’administration européenne.

  • Quand est-ce qu‘on va voir les premiers cyclistes faisant la route de la Mer du Nord jusqu’à la frontière Suisse ?

Il faut dire que cet itinéraire ne naît pas de rien. Sur les 1000 km qui part de la frontière suisse traverse tout l’Est et le Nord de la France avant de rejoindre la Mer du Nord à travers principalement la Wallonie, nombre de véloroutes et de voies vertes déjà existantes s’intègrent naturellement à l’itinéraire. La question principale reste sans doute, au-delà d’aménagements ponctuels, le jalonnement et la signalétique. Deux trois années pourraient suffire. Nous disposons déjà d’un tracé provisoire, beaucoup de collectivités françaises sont intéressées. Reste à trouver le liant pour que cela prenne. Nous sommes confiants, surtout si nos amis allemands y participent !

Traduit de l’allemand en français à partir de la page source : https://www.stern.de/gesellschaft/radweg–via-pax—pierre-h%C3%A9mon-ueber-ein-europaeisches-projekt-32855658.html?cc_bust=7901680

Toutes les informations sur le projet Via Pax

via pax - couverture flyer
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